Le conte de la chevrette
Le conte de la chevrette
Une fois, il y a longtemps, longtemps, les bêtes parlaient : le loup parlait, le renard parlait, les oiseaux des bois parlaient, les petites chèvres parlaient, les petites brebis... : tout parlait. Et alors, il y avait une chevrette, qui était jolie avec deux jolies cornettes qui elle avait deux chevreaux.
Un jour la chevrette n'eut plus de bois, elle dit aux chevreaux :
- Restez ici, Petits, ne sortez pas au moins ; il y a le loup qui rôde partout et il vous mangerait. Moi je vais aller chercher des brochettes pour faire du feu, et je mangerai de l'herbette dehors : comme ça j'aurai du lait pour vous faire manger.
Alors, les chevreaux fermèrent la porte bien vite et ils se mirent à folâtrer dans la maison.
Tout à coup, le loup - il avait vu partir la chevrette - se dit :
- Tiens, laisse-moi aller voir ces chevreaux, si je pouvais les manger...
Et alors le loup alla à la porte, et il frappa ; les chevreaux, eux :
- Qui est là ?
- C'est votre maman qui vient de chercher des broches et il vous faut m'ouvrir la porte.
Et alors, les chevreaux disent :
- Ah ! vous n'êtes pas notre maman; vous parlez trop gros, notre maman ne parle pas comme ça. C'est toi, loup ? Va-t-en, nous ne t'ouvrirons pas.
Un moment après la chevrette arrive, elle frappe à la porte; les chevreaux :
- Qui est là, qui est là ?
- C'est votre maman qui porte ses pleines cornettes de brochettes, et son plein pis de lait ; ouvrez-moi.
Et les chevreaux sautèrent bien vite à la porte et ils ouvrirent la porte à la maman. Et bien vite :
- Maman, tu ne sais pas, tu ne sais pas ; le loup est venu !
- Il est venu ! Mais j'espère que vous ne lui avez pas ouvert ?
- Oh non ! Nous nous en sommes bien gardés d'ouvrir la porte. Il avait une langue épaisse, maman, nous l'avons reconnu à cela !
- Il ne vous faut pas ouvrir quand je repartirai.
Alors le lendemain, le chevrette, pardi, est repartie; elle dit :
- Au moins, n'ouvrez pas.
Et le loup qui était brigand comme tout, était allé trouver le forgeron, et il lui avait dit :
- Dis-donc, je ne parle pas comme tout le monde, il faudrait que tu me donnes un coup de marteau sur cette langue, parce qu'elle est trop épaisse.
- Viens ici, n'aie pas peur, moi, j'ai tout ce qu'il me faut. Pose, là, la langue, sur l'enclume.
Et il lui fiche un coup de marteau sur la langue. Mais c'est que le loup la retira trop vite, et elle ne fut pas bien aplatie.
Et le lendemain quand la chevrette fut partie, il dit :
- Allons, maintenant, je parlerai mieux, il me faut aller frapper à la porte des chevreaux.
Et il frappe à la porte; les chevreaux :
- Qui est là ?
- C'est votre maman, qui porte ses pleines cornettes de brochettes et son plein pis de lait
- Ce n'est pas notre maman; ça parle trop gros.
- Encore ! fit le loup. Encore !
Et il s'en va. Et quand la chevrette revint, les chevreaux lui racontèrent la même histoire :
- Mais il ne parlait pas aussi gros qu'hier, il parlait un peu mieux.
- Méfiez-vous : le loup est coquin... Ne lui ouvrez pas.
Mais c'est que le loup entre-temps revint chez le forgeron. Et il dit au forgeron :
- Tu ne m'as pas assez aplati cette langue, forgeron, je ne parle pas encore assez bien.
- Donne-moi cette langue, ici, je m'en charge.
Et il lui fiche un coup de marteau, il la lui partage. Après, il parlait comme tout le monde.
Alors il surveilla la chevrette... Le lendemain; quand elle fut partie, le loup alla frapper à la porte.
- Qui est là ?
- C'est votre maman, ouvrez-moi : je suis votre maman, j'apporte mes pleines cornettes de brochettes, et mon pis plein de lait.
Bien vite, ces chevreaux - ils croyaient que c'était la maman - ouvrirent ; ce fut le loup. Alors le loup :
- Ah vous m'avez eu pendant deux jours, mais cette fois-ci moi je vous aurai. Lequel je mange? Lequel je mange ?
Ces chevreaux trottaient autour de la table
- Pas moi, pas moi - Ni moi - Mange mon petit frère : il est plus gras que moi.
Et ils faisaient le tour de la table. Le loup se démenait, il allait les attraper...
La chevrette arrive
- Que fais-tu là, loup ?
- Eh bien ! je me promenais, j'ai vu la porte ouverte, eh bien, je suis venu.
- Ah ! tu es venu, tu as vu la porte ouverte ! Tu es un peu coquin, mais cette fois je t'attrape, loup !
- Eh bien, dis, Chevrette, écoute. Je ne veux pas te faire de misère, je faisais tourner les chevreaux, là, autour de la table, ce n'était pas pour te les manger. Laisse-moi me chauffer un peu : j'ai froid. Tu sais, tu as une maison, mais moi, je n'en ai pas.
- Eh bien, mais... chauffe-toi, tiens. Va m'attiser le feu.
Et ce jour-là la chevrette voulait faire une grosse lessive. Et elle avait dit aux chevreaux :
- Vous me ferez chauffer cette eau, là, dans ce grand chaudron; nous en aurons pour faire la lessive.
Et l'eau frémissait, pardi, elle bouillait. Le loup y va, pour se courber, pour attiser le feu; la chevrette vient par derrière, avec ses cornes, elle expédie le loup dans le chaudron !
Et les chevreaux montent dans l'escalier, et ils riaient, et ils frappaient avec leurs petites pattes; et la chèvre :
- Eh bien, tu t'es réchauffé, loup, ou qu'as-tu fait ?
Enfin, à force, il sortit du chaudron; en s'ébrouant, en se tortillant; toute la bourre tombait dans cette maison, des touffes telles que tout à coup il eut la queue comme le petit doigt, sans un poil, sans rien; il était tout plumé, comme un oeuf. Il passe par la porte comme une fumée, et il dit:
- Eh bien vous ne me reprendrez pas, au chaudron, vous autres.
Et la chevrette, bien contente, et puis elle était tranquille, elle n'avait plus peur du loup. Ce qui fait qu'il alla crever dans le bois.
Conté par Mme Marie Lacroix, Born, Prades-d'Aubrac,
Aveyron, le 9 février 1965
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